Schulze-Marmeling : « le FC Bayern n’était nullement un pôle majeur de résistance »

Né en 1956, Dietrich Schulze-Marmeling est un historien reconnu pour l’ampleur de ses recherches et l’érudition de sa documentation. Publié une première fois en 2011, « Der FC Bayern und seine Juden » a causé une forte déflagration et obtint le Prix du livre allemand de football de l’année. La version augmentée est parue en 2017, « Der FC Bayern, seine Juden und die Nazis » ». BuliLand.fr s’est entretenu avec le prolifique auteur. Seconde partie.

BL : Autre sujet sensible : vu de l’extérieur, on a le sentiment que le Bayern s’enorgueillit de son statut de « résistant au nazisme ». Qu’en est-il exactement ?

DSM : Le FC Bayern a certes intégré les « paragraphes aryens » (NDLR : excluant les juifs, « demis juifs »…) plus tardivement que d’autres clubs mais ne constituait nullement un pôle majeur de résistance. En 1935, il était largement « nazifié ». Le « Dietwart » (NDLR : un Dietwart est un dispositif responsable de l’association, en charge des discours solennels et de l’encadrement, notamment des jeunes) poussa à cette nazification de manière particulièrement radicale, arguant du fait qu’auparavant le club « n’était pas structuré sur une matrice ethniciste germanique » et que « différentes réflexions émanant de certains milieux faisant valoir leurs inquiétudes, suggérant que l’ancienne matrice ne devait plus avoir cours à l’ère national-socialiste ».

Il y a quelques années, le Bayern a subi des critiques virulentes de la part du philosophe, spécialiste des Religions, Markwart Herzog, lequel affirmait que le club aurait traité ses membres juifs de manière pire que les nazis. Gregor Hoffman, auteur d’une étude sur le Bayern durant la période nazie, considérait qu’il s’agissait de pure polémique. A la même époque, Herzog parcourait le pays, prétendant que « son » FC Kaiserslautern représentait un modèle, aurait traité les juifs du club de manière particulièrement loyale, honnête et généreuse, ignorant l’obligation du « paragraphe aryen », jugeant que les nazis du FCK n’étaient pas plus nazis que rouges. La découverte de nouveaux documents a depuis fait s’écrouler ce château de carte. Kaiserslautern a exclu ses juifs bien avant le Bayern et ne les traitait aucunement de manière convenable. Personne ne considère sérieusement qu’Herzog ait pu ignorer l’existence du « paragraphe aryen » durant toutes ces années, d’autant plus qu’il s’est toujours revendiqué de son activité d’archiviste.

BL : En 1932, vous le rappeliez, le Bayern remportait son premier championnat. Peut-on considérer que l’actuelle domination aurait ainsi pu commencer bien plus tôt ? Les fans doivent-ils « réhabiliter » ce titre souvent ignoré ?

DSM : C’est un fait, le club a été affaibli par la « perte » de ses membres juifs. Au-delà, je ne pense pas qu’un titre de champion initie nécessairement une longue séquence de domination. Je pense que « la réhabilitation » par les supporters est pleinement actée.

BL : le TSV Munich 1860 est l’autre club munichois considéré comme plus populaire que le FC Bayern. A titre informatif, BuliLand.fr reproduit ici les propos de DSM datés du 23/08/10 et publiés sur le site Jüdische Allgemeine.

DSM : La perception du TSV 1860 comme club avec une base très prolétarienne est plutôt une spécificité datant d’après 1945. Avant 1933, les « Lions » étaient une association de la petite bourgeoisie connue aussi pour être une adresse plus nationaliste, qui refusait la République. Au Bayern, c’étaient aussi des bourgeois, mais différents : une association de personnes venues de Schwabing, d’étudiants, d’artistes ou de commerçants.

BL : La présence juive dans le développement du football en Allemagne a toujours été prégnante. Faut-il considérer cela comme une opposition à l’ordre conservateur prussien ? Ou plutôt l’adoption d’une manière d’être « à la britannique » ?

DSM : Je pencherais plutôt pour un choix « à la britannique ». *Beaucoup de juifs vivaient en zone urbaine – et le football était un jeu urbain – faisaient partie de la bourgeoisie moderne, libérale et cosmopolite. Le football était un sport anglais, et « britannique ou « anglais » pouvaient aussi se comprendre comme « moderne ». (*cité dans Jüdische Allgemeine du 23/08/10)

BL : Pouvez-vous, pour le public francophone, citer les personnalités juives les plus importantes du football allemand ?

Alors concernant le FC Bayern : Kurt Landauer, plusieurs fois président du club. L’ancien international autrichien, Richard Dombi, qui fut l’entraîneur du titre en 1932. Les coachs Dori Kürscher et Kalman Konrad. Otto Beer bien entendu, l’un des nombreux marchands de textile du FC Bayern et longtemps responsable de la jeunesse du club – il fut assassiné avec sa famille par les nazis. En dehors du FC Bayern : les deux internationaux Gottfried Fuchs, qui marqua dix buts, longtemps un record, contre la Russie aux Jeux Olympiques de 1912 et Julius Hirsch. Fuchs a pu émigrer au Canada tandis que Hirsch fut assassiné à Auschwitz. Bien entendu, Walter Bensemann qui fut un pionnier du football en Allemagne. L’un des fondateurs de la DFB, la fédération allemande, et le créateur du journal Kicker en 1920.

Der FC Bayern, seine Juden und die Nazis de Dietrich Schulze-Marmeling

Verlag die Werkstatt, 2017